En 1995, je reçois par la poste un petit paquet du Secours Populaire Français. Il contient une toile blanche de très petit format, préparée pour être peinte, montée sur châssis de bois. Ces toiles avaient été envoyées en grand nombre à des artistes de différentes spécialités pour commémorer le cinquantième anniversaire de cette institution. Étant sculpteur et non peintre, je téléphone au bureau du Secours Populaire en disant que je renvoie la petite toile. On me répond que je n’ai pas besoin de la peindre : je peux y dessiner un cœur percé d’une flèche, y recopier un poème que j’aime…. et on insiste.
J’accepte donc, et plus tard, j’ai l’idée de verser du ciment (matériau dont je me sers exclusivement) sur la toile. L’effet est sympathique —le ciment adhère bien sur la surface blanche— et j’apporte mon paquet au bureau du Secours Populaire qui, l’air ravi, me remercie chaleureusement.
Quelques mois plus tard, je repense à cette expérience et je décide d’acheter de la toile préparée pour peindre —exactement la même— et au milieu, je verserai du ciment que j’aplatirai. L’ensemble pourra être suspendu au mur. Je prépare un morceau de toile que je pose sur ma table. J’y verse du ciment. Je mets sur le ciment une fine feuille de plastique et, à travers ce plastique, j’aplatis avec mes mains le ciment, qui forme un rectangle irrégulier. Une heure après, au moment de quitter l’atelier, je suis surprise de constater que la surface du plastique est entièrement ridée, formant des nervures dans tous les sens. Le lendemain, elles sont toujours là, et lorsque j’enlève le plastique, je m’aperçois que les nervures ont laissé un très intéressant souvenir de leur présence : les parties des nervures qui s’étaient soulevées au dessus de la surface du ciment faisaient apparaître un tracé foncé ; les parties du plastique sans nervures qui adhéraient à la surface rendaient cette surface lisse et de couleur plus claire et j’obtenais ainsi un graphisme inhabituel, très intéressant.
J’ai recommencé l’expérience de nombreuses fois, et j’ai chaque fois obtenu par l’apparition de ces nervures, des étranges dessins mais qui avaient le même style : les nervures sont dues à une certaine quantité d’air qui traverse les mailles de la toile à peindre —malgré la préparation blanche qui la recouvre— qui traverse ensuite l’épaisseur du ciment, et vient gonfler certaines parties du plastique qui le recouvre. Ces parties sont souvent miraculeusement choisies, laissant apparaître une fois le plastique nervuré enlevé —à mon grand étonnement— un graphisme différent mais de même famille d’inspiration.
Une partie de l’exposition actuelle montre les résultats de cette miraculeuse expérience.
Novembre 1998.